Psychologie des prix : ces biais cognitifs qui perturbent l’image que les consommateurs se font de vos prix

Daniel Kahneman, prix Nobel d’économie en 2002, a transformé notre compréhension de la prise de décision. Disparu en mars dernier, il laisse derrière lui une littérature passionnante sur les liens entre psychologie et économie.

Au début des années 1970, il a introduit avec Amos Tversky le concept de biais cognitifs. Leurs recherches ont permis d’expliquer certaines tendances à des décisions irrationnelles dans le domaine économique. Dans leur sillage, les chercheurs en psychologie cognitive et sociale ont identifié une multitude de biais intervenant dans la prise de décision. Nous vous proposons d’en décortiquer 5, et de rendre compte de leurs impacts dans l’image que vos consommateurs se font de vos prix.

Biais 1 en psychologie des prix : Le biais de représentativité

Qu’est-ce que le biais de représentativité ?

Le biais de représentativité est un raccourci mental qui consiste à porter un jugement à partir de quelques éléments qui ne sont pas nécessairement représentatifs.

Où le retrouve-t-on en pricing ?

Lorsqu’un consommateur fait ses courses pour la semaine, il ne va pas retenir les prix de tous les produits qu’il achète. L’image de cherté qu’il se fait d’une enseigne se construit autour des “marqueurs d’image-prix” : le montant du panier, les produits qu’il achète régulièrement et/ou qui représentent une part importante de son panier, les produits régulièrement en promotion, etc. 

Comment l’utiliser dans votre stratégie de prix pour augmenter les ventes ?

Le biais de représentativité vient alors influencer la perception du consommateur. À partir des marqueurs d’image-prix, il va se figurer l’image générale qu’il se fait du niveau de prix de l’enseigne.

C’est pour cette raison que l’analyse d’indice-prix sophistiqués est capitale : il faut évaluer son niveau de cherté avec le même œil que celui du consommateur. Des indices-prix optimaux tiennent compte des différents poids des produits/catégories dans la perception consommateur. Pour plus d’informations, n’hésitez pas à lire notre article sur la maîtrise de l’image-prix consommateur.

Biais 2 en psychologie des prix : Le biais d’attribution hostile

Qu’est-ce que ce bias ?

Ce biais est une tendance à attribuer de mauvaises intentions à autrui dans des situations souvent décrites comme ambiguës ou non intentionnelles. Dans la majorité des cas, l’action ne permet pas de déceler l’intention de celui qui la réalise, mais celui qui en subit les répercussions pense que cet acte était délibéré. Par exemple, une personne A bouscule une personne B, alors la personne B pense que la personne A a agi délibérément plutôt que d’envisager un motif accidentel.

Où le retrouve-t-on en pricing ?

Ce biais fait très mal aux enseignes qui ne maîtrisent pas leur cohérence. YouTube grouille de vidéos d’influenceurs qui informent leurs followers sur les “arnaques” de la grande distribution, en comparant les prix/kg des différents grammages, ou le prix promo et les prix fond de rayon. Ces “arnaques” sont en réalité des erreurs. Elles sont le fait d’outils de pricing vieillissants qui ne garantissent pas le respect de la cohérence, ou de prix imprécis qui entraînent des modifications des prix manuelles en magasin. En effet, quand un indépendant (adhérent, associé ou franchisé) n’est pas satisfait des prix qui lui sont recommandés, il aura tendance à effectuer des modifications manuelles qui viendront casser la cohérence de gamme. Indirectement, le pricing local (ou géopricing) est un moyen d’obtenir des prix plus précis, et donc moins de modifications manuelles, et donc une meilleure cohérence en rayon.

Comment l’utiliser dans votre stratégie de prix ? 

Travailler sa cohérence, c’est avant tout travailler la confiance que le consommateur aura dans vos prix. Il ne faut pas la sous-estimer, en particulier si vous vendez des produits achetés régulièrement et que l’enjeu de fidélisation est important.

Biais 3 en psychologie des prix : Le biais de confirmation

Découvrez le biais de confirmation

La tendance à ne rechercher et ne prendre en considération que les informations qui confirment nos croyances et à ignorer ou discréditer celles qui les contredisent.

Où le retrouve-t-on en pricing ?

Une fois qu’un consommateur s’est fait une image des prix des supermarchés dans son périmètre, il sera difficile de changer cette perception. Un consommateur qui pense qu’un supermarché est plus cher que ses concurrents se concentrera uniquement sur les articles qu’il trouve chers dans ce magasin, renforçant ainsi sa croyance initiale. Même si ce supermarché propose de nombreuses promotions et prix compétitifs sur d’autres articles, ces éléments seront négligés.

Biais 4 en psychologie des prix : L’effet de domination asymétrique ou effet leurre

Qu’est ce que l’effet de domination asymétrique ?

Ce biais amène le consommateur à choisir, entre deux options, celle qui est la plus proche d’une troisième option malgré la forte asymétrie d’information.

Où le retrouve-t-on en pricing et stratégie marketing ? 

C’est tout l’art du category management ! La valeur que l’on accorde aux choses se construit presque exclusivement par comparaison. Les clients perçoivent les prix trop bas ou les prix trop élevés par rapport à d’autres produits et recherchent, si nécessaire, une meilleure affaire.

Comment utiliser cette stratégie pour une valeur perçue juste et une tarification efficace ?

Dans la construction de votre pricing, il est donc capital de travailler au bon niveau de granularité d’assortiment. Par exemple, pour bien travailler la cohérence des prix, il faut savoir déterminer quels sont les groupes de cohérence. Les groupes de cohérence sont les groupes de produits parmi lesquels les consommateurs vont comparer pour choisir leur produit. Pour aller plus loin, nous vous recommandons de lire l’exemple de l’étude de Daniel Ariely dans l’article sur la perception consommateur.

Biais 5 : Biais des coûts irrécupérables

Qu’est-ce que le biais des coûts irrécupérables ? 

Les coûts irrécupérables sont les coûts qui ont déjà été payés définitivement ; ils ne sont ni remboursables, ni récupérables par un autre moyen. Ce biais amène le consommateur à considérer ces coûts passés dans sa prise de décision actuelle.

Où le retrouve-t-on en pricing ?

Lorsqu’un consommateur a fait l’investissement de se déplacer en magasins et a déjà parcouru les rayons pour 90% de sa liste de courses, il n’est pas réaliste de penser qu’il va abandonner son caddie pour aller acheter ailleurs. Il n’est pas réaliste non plus de se dire que tous les consommateurs iront dans un autre magasin seulement pour un produit qui coûte moins de 2€.

Ce biais entraîne de très grandes complications dans le calcul d’impact des prix sur les volumes de vente dans la distribution alimentaire physique. En effet, le fait qu’un consommateur achète un produit ne donne pas vraiment d’information sur le niveau d’acceptation du prix par le consommateur (willingness-to-pay). Je vous renvoie à notre article qui montre l’analogie avec les études de l’armée américaine, pour prendre la mesure de l’enjeu dans les analyses statistiques.

 

 

FAQ pour les vendeurs

Non. Le prix psychologique n’est pas un biais cognitif. C’est une des stratégies de tarification issue de la psychologie des prix. Les entreprises utilisent cette stratégie pour convaincre le consommateur que les produits sont vendus au bon prix.

Le prix psychologique repose sur plusieurs biais cognitifs, comme le biais d’ancrage ou l’effet de seuil (dont nous n’avons pas parlé dans cet article), pour influencer la perception de valeur.

Si vous souhaitez fixer les prix psychologiques pour votre enseigne, vous devez avant tout réfléchir aux informations que vos clients analysent avant les décisions d’achat. En quoi un prix peut-être considéré comme juste et attractif selon leur perception  ? Le prix psychologique correspondra alors au prix qu’ils sont réellement prêts à payer. Ce prix ne correspond pas exactement à la valeur économique du produit.

Si vous souhaitez donner aux consommateurs l’impression que vos prix affichés sont plus abordables que ceux des concurrents, vous pouvez vous appuyer sur les biais cognitifs qui influencent leurs décisions d’achat. Par exemple, utilisez :

  • L’effet de domination asymétrique (effet leurre) pour leur proposer une option légèrement moins avantageuse, qui les poussera naturellement vers le choix que vous souhaitez favoriser.
  • Le biais de représentativité pour travailler les “marqueurs d’image-prix” et renforcer la perception d’un bon rapport qualité-prix.

Pas forcément ! En effet, le niveau de vos prix dépend de votre stratégie de prix et de la perception que vous souhaitez créer. Les prix réduits attirent l’attention et renforcent l’impression d’une bonne affaire, tandis que des prix élevés peuvent valoriser l’image de qualité ou de prestige. Votre choix doit se faire en fonction de l’image de votre marque mais aussi de la profondeur et largeur de votre assortiment. Voulez-vous que vos clients trouvent chez vous tous les niveaux de prix pour chaque unité de besoin ? Etes-vous sur un positionnement premium ? Ou au contraire, voulez-vous être identifié comme le leader en prix ? Il est essentiel de bien comprendre comment vos clients évaluent la valeur et d’utiliser la psychologie des prix pour influencer cette perception.

L’utilisation de la psychologie des prix est un élément de stratégie-prix, mais les stratégies-prix ne se résument pas à cela. Il faut conjuguer la psychologie au positionnement concurrentiel, au pilotage des marges ou encore au pricing de gammes.

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Valentine Dreyfuss
Valentine Dreyfuss

Valentine est la Fondatrice et Directrice Générale de Mercio. Elle a fait se rencontrer les enjeux d'image-prix des poids lourds de la grande distribution, et les innovations de pointe de nos équipes d'ingénieurs. Très impliquée dans la souveraineté technologique européenne, elle a pris un mandat de Co-Présidente de La French Tech à Düsseldorf en Allemagne, et transmet ses connaissances aux étudiants d'HEC chaque année.